a chaud

““Ce film vous attrape discrètement par la nuque et ne vous lâche plus pendant presque trois heures, en serrant délicatement jusqu’à l’insoutenable”

 

Cate Blanchett signe une performance acérée dans un film se laissant qualifier de virtuose, non sans ironie au regard de la tournure que prend la fin du scénario.

Le film nous présente une chute, non pas sur le motif du dévalement mais celui de la descente pénible, jusqu’à ce que quelqu’un vienne achever de couper les ailes de cette cheffe d’orchestre émérite et la laisse en chute libre.

Jamais violent ou soudain, il ne s’agit pas là de trancher dans le vif tout le faste qui entoure la carrière de Lydia Tàr, mais de disséquer avec une précision cruelle les sentiments d’une femme au goût prononcé pour le pouvoir. Dans une tension accordée au La des archets, le film peint le vice latent de ceux qui se plaisent à diriger. 

Cate Blanchett resplendit dans ce personnage à la noirceur et la virilité jamais attendris. Le lien filial et conjugal et l’amour presque organique qu’il implique ne dépasse pas son attrait viscéral pour le pouvoir, qu’elle exerce, dans un élan sadique de maternité, face à l’injustice et la méchanceté puérile des enfants.

 

 

On retrouve Noémie Merlant dans un rôle de l’ombre qui fait pourtant éclater les abus de sa supérieure. La française qu’on avait adorée dans “Portrait de la jeune fille en feu” (Céline Sciamma) et plus récemment dans l’exercice comique qu’est “L’Innocent” (Louis Garrel) fait encore une fois preuve d’une expression maîtrisée. L’actrice capte le peu de lumière disponible dans le creu de son oeil, avec la même précision qui dirige son  jeu et veille ainsi à donner à chaque rôle la juste sensibilité, sans jamais tomber  gratuitement dans le mélo .

Dans ce long métrage d’ombres et d’ocres se dessinent les angles aigus dans lesquels se logent toute la subtilité et la profondeur de ses personnages. ce que l’on voit tourmente, ce qui est caché hante, le tout vernis par une mise en scène à la rigueur époustouflante. 

 

La complexité du personnage feminin qui nous est présenté donne au film toute sa puissance séductive, à la fois hostile et sensuelle, Lydia Tàr se montre d’une cruauté sans limite qui ne fait que crier sa fragilité. C’est dans la solitude de ce rôle que s’incarne la figure du génie maudit par l’orgueil lorsque la grandeur et les passions se font front. 

 La mysophonie du personnage laisse entendre des grésillements dans l’harmonieuse partition de sa vie, comme des dérèglements sourds que l’orgueil a masqué de fortissimo.

Peu à peu, tout s’effrite, au rythme des accusations virtuelles, des “robots”, malhonnêtes détracteurs de cette femme aux accents tyranniques. 

 

Enfin, le film fait le portrait de notre époque. Illustrant un choc des générations, Tàr donne à explorer la confrontation des normes et idées d’un 21ème siècle transpirant l’ouverture à s’en boucher les pores contre l’immuable carcasse des artistes qui ont fait en leur temps des chefs d’oeuvres et des misères. Quand c’est l’œuvre qui s’acharne à défendre son auteur, la torsion entre énergie sublime et faille empirique n’est que ravivée, et amène ici le film à raviver la redoutable dispute entre art, légitimité et responsabilité.